David Van Hemelryck est ingénieur, et survole la France en arborant une banderole « DESTITUTION » dans le but de réunir les Français autour de l’article 68 de la Constitution qui permet la destitution du président de la République.

Il invite ceux qui le suivent à lire De la dictature à la démocratie de Gene Scharp, ouvrage publié à l’initiative de l’École de la Paix de Grenoble, et en format PDF dans le compte researchgate de Mayeul Kauffmann.

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Voici quelques extraits de cet ouvrage de 138 pages qui vous permettront un survol en 20 minutes.

Gene Sharp, Docteur en Philosophie (Oxford), est chercheur principal à l’Institut Albert Einstein à Boston, Massachusetts (États-Unis). Il est titulaire d’une licence et d’une maîtrise de l’Université d’État de l’Ohio, et Docteur en Philosophie de la théorie politique de l’Université d’Oxford.

Depuis plusieurs années, la manière dont les peuples peuvent prévenir ou détruire les dictatures a été l’une de ses principales préoccupations. Il a rencontré des victimes du joug nazi, des survivants des camps de concentration, des résistants aux lois fascistes, des Juifs ayant échappé aux griffes des nazis et entendu de nombreux récits de ceux qui ont péri. Il a espoir que la prévention de la tyrannie est possible, que des combats victorieux peuvent être menés sans massacres, que ces dictatures peuvent être détruites. Il a porté une grande attention aux luttes non violentes, aux mouvements de résistance aux systèmes de gouvernement. Ce livre, qui ne prétend pas défier les dictateurs, incite les dirigeants des mouvements de résistance à considérer des stratégies qui augmenteront leur efficacité.

Gene Sharp a étudié le rapport de forces particulier en collaboration avec plusieurs équipes de Harvard et plusieurs chercheurs internationaux et explique ce phénomène incroyable qui permet au faible quand sa cause est juste et sous certaines conditions de vaincre le fort et d’établir des conditions de paix plus durables.

1/ FAIRE FACE AVEC RÉALISME AUX DICTATURES

L’effondrement d’une dictature n’éradique pas les autres problèmes : misère, criminalité, inefficacité bureaucratique, destruction de l’environnement, mais elle réduit la souffrance des victimes de l’oppression et ouvre le chemin de la reconstruction vers une démocratie politique, des libertés personnelles et une justice sociale. Le problème des dictatures est profond. Une soumission inconditionnelle aux symboles et aux détenteurs du pouvoir y a souvent été inculquée depuis longtemps. La population a été atomisée, transformée en masse d’individus isolés, incapables de travailler ensemble pour développer des libertés, une confiance mutuelle ou même faire quoi que ce soit de leur propre initiative. La population s’affaiblit, perd confiance en elle-même et se retrouve incapable de résister. Les individus sont terrifiés à l’idée de résister – À quoi cela servirait-il ? – ils vivent une souffrance sans but et envisagent l’avenir sans espoir.

Les barrières légales et constitutionnelles, les décisions judiciaires et l’opinion publique sont généralement ignorées des dictateurs. En réaction aux brutalités, à la torture, aux disparition et aux meurtres, on a souvent conclu, de manière compréhensible, que seule la violence pouvait abattre une dictature. En plaçant sa confiance dans des moyens violents, on choisit le type même de lutte dans lequel les oppresseurs ont presque toujours la supériorité. Un coup d’État militaire peut paraître un des moyens les plus faciles et rapides pour éliminer un système corrompu mais il laisse en place une mauvaise distribution de pouvoir entre la population, l’élite au pouvoir et la force militaire. Le nouveau pouvoir pouvant s’avérer plus impitoyable et ambitieux que le précédent. Les élections ? Il n’en est pas question dans une dictature, si elles sont organisées, elles seront truquées, ou les résultats ignorés s’ils ne sont pas ceux attendus.

Beaucoup d’opprimés ne croient pas pouvoir se libérer eux-mêmes et espèrent l’intervention d’un tiers en qui ils placent leur confiance. Cette vision est confortable mais pose de sérieux problèmes. Le plus souvent, aucun  sauveur ne se présente et si un vient à le faire, on ne devrait probablement pas lui faire confiance (soutien de ses propres intérêts par des puissances étrangères, trahison du peuple pour suivre un objectif personnel, nouvelle dictature en place…).

Les dictatures existent principalement à cause de l’insuffisante répartition du pouvoir dans le pays lui-même. La richesse et le pouvoir sont concentrés en trop peu de mains. La libération des dictatures dépend de la capacité des peuples à se libérer eux-mêmes.

4 tâches pour renverser une dictature efficacement et à moindre coût :

– renforcer la détermination de la population opprimée et sa confiance en elle-même et améliorer ses compétences pour résister ;

– fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population ;

– créer une puissante force de résistance interne ;

– développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en œuvre avec compétence.

2/ LES DANGERS DE LA NÉGOCIATION

Certains peuples s’installent dans une attitude de soumission passive et composent avec cette dictature apparemment indestructible, en espérant qu’il sera possible de sauver quelques éléments positifs et de mettre fin aux brutalités grâce à la conciliation, aux négociations et aux compromis. Lorsque les enjeux sont fondamentaux (principes religieux, libertés humaines), les négociations ne peuvent pas être une solution acceptable. Elles peuvent peuvent être utilisées mais ne sont pas un moyen réaliste pour renverser une puissante dictature quand une forte opposition fait défaut. 

La dictature fera appel à la négociation pour « faire la paix » quand il existe une résistance gênante. Elle sera bien souvent une ruse qui cache  de graves dangers car les dictateurs sont capables de promettre n’importe quoi afin de soumettre leurs opposants pour ensuite violer effrontément tous leurs engagements afin de maintenir leur domination pour le garder le pouvoir, la position la richesse… tous eux qui se servent du mot « paix » ne souhaitent pas nécessairement la liberté et la justice. Hitler évoquait souvent la paix, cela signifiait la soumission à sa volonté.

Lorsque les forces contraignantes de l’opposition intérieure et internationale ont été supprimées, les dictateurs sont capables d’exercer une oppression et une violence plus aiguës que jamais.

« Le tyran ne tire son pouvoir de nuisance que des faiblesses de notre résistance » Krishnalal Shridharani, War without violence – a study of Gandhi’s method and its accomplishments, 1939.

C’est la résistance et non pas la négociation qui compte dans les conflits dont les enjeux sont fondamentaux. Dans presque tous les cas, la résistance doit continuer pour chasser les dictateurs du pouvoir. Le succès est le plus souvent déterminé non pas par un accord, mais par l’usage de moyens de résistance les plus appropriés et les plus puissants disponibles.

Pire encore, participer à des négociations permet de fournir au dictateur une légitimité qui lui était refusée du fait de sa position monopolistique dans l’État, de ses violations des Droits de l’Homme et de sa brutalité.

L’histoire démontre qu’une dictature est vulnérable et peut s’effondrer en un temps très court. Les moyens violents n’opèrent pas plus rapidement, c’est une idée ancienne et toute faite. Il faut du temps pour changer profondément la situation et la société mais le combat non violent peut se passer relativement vite. La solution est la défiance politique.

3/ D’OÙ VIENT LE POUVOIR ?

Parvenir à une société qui soit en paix et en liberté implique une habileté stratégique, de l’organisation de la planification mais par dessus tout du pouvoir.

Yu-zu-li « certains hommes donnent leur peuple par l’imposture et non par la justice. Ils ne se rendent pas compte de leur confusion d’esprit. Dès que le peuple comprend la chose, leurs ruses ne fonctionnent plus ».

Les dictateurs ont besoin de l’aide de ceux qu’ils gouvernent. Les sources du pouvoir politique :

l’autorité : la conviction que le régime est légitime et que lui obéir est un devoir moral ;

les ressources humaines : nombre et importance des personnes et groupes qui obéissent, coopèrent ou apportent leur assistance ;

les compétences et les connaissances : des personnes et groupes coopérants ;

les facteurs intangibles : psychologiques et idéologiques qui amènent à obéir ;

les ressources matérielles : capacité des dirigeants à contrôler, accéder à la propriété, aux ressources naturelles, aux moyens financiers, au système économique et aux moyens de communication et transport ;

les sanctions : punitions brandies ou appliquées aux désobéissants pour assurer leur soumission et coopération nécessaires au régime.

Ces sources dépendent de l’acceptation du régime, de la soumission de l’obéissance de la population, de la coopération d’innombrables personnes et de multiples institutions de la société. La pleine coopération augmente le pouvoir. Sans elle, le pouvoir s’affaiblit puis se dissout. La répression et les brutalités ne mènent pas toujours au rétablissement de la soumission et de la coopération nécessaires au fonctionnement du régime. La résistance peut conduire à l’incertitude et à la confusion au sein même de la dictature. Le pouvoir peut s’éteindre plus ou moins rapidement par « famine politique ». Même les dictatures totalitaires sont dépendantes de la population et des sociétés qu’ils gouvernent.

Karl W. Deutsch en 1853 : « Le pouvoir totalitaire n’est fort que s’il ne doit pas être utilisé trop souvent… Ils doivent pouvoir compter en cas de besoin sur le soutien actif d’une part majeure de la population ».

Machiavel : « qui a l’ensemble de sa population pour ennemi ne sera jamais en sécurité, plus grande est sa cruauté, plus faible devient son régime ».

Si la majorité de la population était déterminée à détruire le Gouvernement et prête à endurer la répression, alors les forces gouvernementales et tous leurs appuis ne pourraient préserver le gouvernement haï, même avec l’assistance de l’étranger. Les trois facteurs qui déterminent le degré de contrôle d’un pouvoir gouvernemental sont la volonté du peuple d’imposer des limites à la puissance du Gouvernement, la capacité des organisations et institutions indépendants et l’habileté de la population à refuser son consentement et son assistance.

Une caractéristique de la démocratie est l’existence d’une multitude de groupes et institutions non gouvernementales (famille, organisations religieuses, syndicats, associations culturelles, clubs sportifs, partis politiques, associations de quartier…) apte à mettre en œuvre la défiance politique. Des individus isolés (non membres de tels groupes) n’ont pas la capacité d’exercer une pression significative sur la société, encore moins le Gouvernement et certainement pas sur une dictature. Le trait commun des dictatures désintégrées ou affaiblies est l’application courageuse et massive de la défiance politique par la population et les institutions. Si la dictature détruit ou contrôle les groupes sociaux, il est important pour les résistants d’en créer de nouveaux. Désintégrer délibérément des dictatures est possible !

4/ FAIBLESSES DES DICTATURES 

Le sentiment d’impuissance face à l’invulnérabilité du système rend improbable l’émergence d’une opposition efficace.

Les dictatures ont un talon d’Achille ; identifier leurs faiblesses permet de cibler les attaques et conquérir plus vite et à moindre frais. Toutes les dictatures ont des faiblesses, des inefficacités internes et institutionnelles, des rivalités personnelles… En voici quelques-unes :

– besoin de la coopération d’une multitude de gens, groupes et institutions ;

– elles sont limitées pour s’engager à nouveau dans des politiques conflictuelles ;

– la routine du système lui fait perdre de la capacité d’adaptation ;

– la crainte de déplaire au supérieur, les subordonnées ne rapportent pas toutes les informations ;

– l’idéologie s’érode, le système avec ses mythes et symboles devient instable ;

– la détérioration de l’efficacité de la bureaucratie ;

– les conflits institutionnels internes ;

– au fil du temps, le public devient sceptique voire hostile ;

– la hiérarchie d’une dictature est instable ;

– les décisions sont prises par peu de personnes ce qui augmente les erreurs de jugement ;

5/ L’EXERCICE DU POUVOIR

Quelles sont les voies et techniques de résistance démocratique ?

La lutte non violente est un moyen complexe et multiforme, les armes sont psychologiques, sociales, économiques et politiques. Elles s’appuient sur le besoin vital du gouvernement de disposer de la coopération, de la soumission et de l’obéissance de la population et des institutions sociales.

La protestation et la persuasion : manifestations symboliques, parades, marches veillées.

La non-coopération : sociale, économique et politique : boycott, grèves…

L’intervention : moyens psychologiques, physiques, sociaux ou politiques : le jeûne, l’occupation non violente et le gouvernement parallèle.

Elles impliquent la négation de la légitimité du dictateur et la non-coopération à son régime. La discipline non violente est la clef du succès et doit être maintenue en dépit des provocations et brutalités des dictateurs et de leurs agents. Les brutalités criantes du régime contre des résistants manifestement non violents se retournent contre les dictateurs et provoquant des dissensions dans leurs propres rangs tout en suscitant le soutien de la population générale dans le pays et à l’extérieur.

Certaines opérations de résistance doivent être tenues secrètes, cependant la franchise concernant les intentions et les projets aura des effets positifs et contribuera à donner l’image d’un mouvement de résistance extrêmement puissant.

La forme non violente, courageuse, disciplinée de la résistance face aux brutalités peut engendrer malaise, mécontentement, perte de confiance et parfois des mutineries au sein des troupes et des populations a priori acquises au dictateur. De même, la persévérance, l’intelligence et la discipline dans l’usage de la défiance politique peuvent augmenter la participation du peuple à la résistance alors qu’en temps normal par son silence, celui-ci apporte un soutien tacite au dictateur.

Des 4 mécanismes de changement :

La conversion : les acquis au dictateur sont émus par la répression subie et en viennent à accepter les objectifs des résistants – cas rare.

Le changement dans la configuration du conflit et de la société : le conflit peut se terminer sur un accord, un abandon réciproque de certaines exigences, c’est l’accommodement (ce ne peut pas être le cas pour une dictature). La non-coopération de masse et la défiance peuvent changer les relations de pouvoir dans les situations économiques, sociales et politiques ; les ordres de répression ne sont plus suivis, c’est la coercition non violente.  

La désintégration : la défiance des résistants est si complète que l’administration refuse d’obéir, les troupes et la police se mutinent, il n’y a plus de soutien au régime.

La défiance politique fournit à la population des moyens de résister et de défendre sa liberté contre des dictateurs existants ou nouveaux. La population prend confiance en elle, la lutte non violente fournit des moyens de non coopération et de défiance, et affirme la pratique des libertés démocratiques (liberté de parole, de presse, de rassemblement…). La lutte contribue à la survie et au renforcement des groupes indépendants et des institutions sociales qui mobilisent le potentiel de pouvoir de la société et impose les limites au pouvoir des dictateurs en puissance.

6/ LA NÉCESSITÉ DE PLANIFICATION STRATÉGIQUE

Il est possible de définir rationnellement, analytiquement et à l’avance, la façon la plus efficace d’abattre une dictature, d’évaluer le moment où la situation politique et l’humeur de la population se prêteront à la mise en œuvre du plan. La planification stratégique augmente la probabilité de mobiliser toutes les ressources disponibles ainsi que l’efficacité de leur utilisation. Planifier une stratégie signifie étudier et déterminer les moyens d’action qui permettront d’aller le plus sûrement de la situation présente à la situation désirée. Un plan consiste en une série de campagnes et activités organisées destinées à renforcer la population opprimée et la société afin d’affaiblir la dictature. Il convient de viser un objectif de démocratie car la seule disparition de la dictature risquerait de produire un autre tyran.

La tâche est difficile, les meneurs de la résistance n’ont souvent ni la sécurité ni le temps pour initier une réflexion de niveau stratégique. Le schéma habituel est celui de la réaction aux initiatives de la dictature, l’opposition de trouve alors toujours sur le défensive. Les buts humanitaires et la loyauté envers ses idéaux est insuffisante pour mettre un terme à la dictature et parvenir à la liberté.

Sans un plan stratégique, on dissipe ses forces, on gaspille son énergie à résoudre des problèmes mineurs, les avantages ne sont pas exploités et les sacrifices n’aboutissent à rien.

La stratégie globale est la conception qui coordonne et dirige l’utilisation de toutes les ressources disponibles et nécessaires, elle détermine l’action la plus appropriée et définit la nature des conditions propices au lancement de campagnes de résistance et leur déroulement dans le temps. Elle est le projet global de l’architecte.

La tactique est l’art d’utiliser ses forces de la manière la plus habile dans un cadre limité. Un objectif sera majeur (stratégique) ou mineur (tactique).

La méthode se réfère aux armes spécifiques et aux moyens d’action. Les formes d’action non violentes sont innombrables.

Pour se libérer d’une dictature il faut une planification stratégique rigoureuse qui mette en œuvre toutes nos capacités intellectuelles.

7/ LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE

Un plan d’action doit être formulé de façon compréhensible afin d’affermir la détermination du peuple souffrant, d’affaiblir et de détruire la dictature pour installer une démocratie durable. Les campagnes particulières doivent renforcer la stratégie globale. Les auteurs doivent avoir une excellente compréhension de multiples aspects du conflit, de leurs facteurs physiques, historiques, gouvernementaux, militaires, culturels, sociaux, politiques, psychologiques et internationaux.

Le renversement d’une dictature ou le remplacement d’un dictateur n’est pas suffisant, il faut viser l’établissement d’une société libre dans un système de gouvernement démocratique.

Plusieurs questions à se poser : quels sont les obstacles principaux à la liberté ? Les points forts de la dictature ? Ses faiblesses ? Sa vulnérabilité ? Les points forts des forces démocratiques ? De la population ?…

Sous une dictature, le Gouvernement est trop fort et la population et les institutions trop faibles. Sans évolution de ce déséquilibre, un nouveau groupe de dirigeants peut être tout aussi dictatorial. La défiance politique facilite une redistribution du pouvoir effectif plus équitable grâce à la mobilisation de la société contre la dictature. S’il devait arriver une aide internationale, celle-ci ne devrait pouvoir être stimulée que par la résistance interne.

Comment donner confiance en soi à une population opprimée ? Comment développer sa capacité à la défiance politique et à la non coopération ? Quelles institutions ont survécu à la dictature et peuvent être utilisées dans le combat ? Comment développer les capacités organisationnelles de la résistance ? Comment maintenir l’ordre social ?

Il est judicieux de faire largement connaître la stratégie globale une fois bien planifiée, afin qu’elle soit comprise ; cela aura un effet positif sur le moral. Les médias de la résistance devront se baser sur les faits pour rester crédibles et informer la population, les forces du dictateur et l’international. La population doit comprendre la notion de non-coopération afin de comprendre la pertinence des actions.

Les programmateurs de la stratégie doivent prévoir et évaluer les réponses et répressions probables, les seuils au-delà desquels se déchaîne la violence de la dictature. Le prix payé par les manifestants peut parfois avoir moins d’impact sur la dictature que si les participants avaient choisi de rester chez eux, de faire un grève ou de participer à un mouvement de non-coopération de fonctionnaires.

8/ APPLICATION DE LA DÉFIANCE POLITIQUE

Dans les situations où les gens se sentent impuissants et effrayés, il est important que les tâches qui leur sont initialement confiées présentent peu de risques, leur apparaissent constructives et les mettent en confiance. Le succès de campagnes limitées devrait convaincre la population qu’elle possède un vrai pouvoir. Là encore les victoires sont bonnes pour le moral. Les campagnes peuvent être choisies en vue de maintenir un part du système social et politique hors de contrôle du dictateur afin de regagner des parts actuellement sous son contrôle ou de l’empêcher d’atteindre un objectif particulier. Les premières actions testent les intentions de la population et la prépare à continuer la lutte par la non coopération et la défiance politique. Il est rarement possible de couper les dictateurs de leurs sources de pouvoir complètement et rapidement dès le début. Les stratèges doivent prendre soin dans la planification des campagnes. Les différentes campagnes son supportées par des différentes sections de la population (cheminots, puis journalistes, puis enseignants…).

Alors que les forces de la résistance démocratique deviennent de plus en plus puissantes, les programmateurs mettent en place des stratégies de non-coopération et de défiance politique plus ambitieuses qui permettent de tarir plus encore les sources de pouvoir de la dictature. Il est important d’étudier de près les principaux supporters et aides du dictateur, les services secrets, le parti politique, la police, les administrations et tout spécialement, l’armée. Le degré de loyauté au dictateur des forces militaires, des soldats et des officiers doit être soigneusement évalué. Il faut très tôt dans la lutte, développer une stratégie pour communiquer avec les troupes et les fonctionnaires. Leur faire savoir que la lutte pour la libération est déterminée et durable et ainsi viser à miner leur moral pour subvertir leur obéissance et leur loyauté eu profit du mouvement démocratique.

Les stratèges de la défiance politique doivent se souvenir qu’il sera extraordinairement difficile, sinon impossible, de désintégrer la dictature si la police, les fonctionnaires et les forces militaires soutiennent pleinement le régime en obéissant et en exécutant les ordres. Il existe une multitude de formes de désobéissance déguisée relativement sans danger et praticables dès le début.

9/ LA DÉSINTÉGRATION DE LA DICTATURE

L’obéissance, la coopération et la soumission sont vitales pour une dictature. Les lui retirer est donc la principale action requise pour la désintégrer. Si la non-coopération est pratiquée par de larges parts de la population le régime sera en grande difficulté. Les sanctions sont une source centrale du pouvoir. La population, comme dans une guerre, doit être préparée à affronter les conséquences sérieuses et à payer le prix de la défiance.

Associée à la défiance politique, la montée en puissance d’institutions sociales, économiques, culturelles et politiques augmente progressivement l’espace démocratique et réduit celui de la dictature. En Pologne entre 1970 et 1980, malgré de nombreux emprisonnements, les nouvelles institutions continuèrent de fonctionner. Des journaux continuèrent de paraître, des maison d’édition illégales publièrent des centaines de livres. Des activités similaires continuèrent dans d’autres segments de la société. La dictature n’exerçait plus le contrôle social.

Le développement de la défiance de masse peut n’apparaître qu’après des années. La défiance politique met en évidence les faiblesses internes de la dictature. La combinaison de la défiance politique et de la construction d’institutions indépendantes attire l’attention internationale en faveur de la démocratie. Les victoires même si elles ne concernent que des questions limitées doivent être célébrées afin de maintenir le moral nécessaire à la lutte.

Il convient de réfléchir à la manière dont la transition de la dictature vers un gouvernement intermédiaire devra être gérée. Il importe de repérer les sections de l’ancienne structure qui doivent être supprimées et celles qui peuvent être conservées. Un vide gouvernemental peut ouvrir la voie au chaos et à une nouvelle dictature. Les changements durement acquis ne doivent pas être perdus faute de planification.

10/ LES FONDEMENTS D’UNE DÉMOCRATIE DURABLE

La désintégration d’une dictature donne lieu à une célébration importante. Se réjouir, se détendre et se sentir fier de ceux qui ont combattu pour la liberté politique. La vigilance ne doit cependant pas se relâcher. Les bases constitutionnelles et légales doivent être mis en place et les structures dictatoriales démantelées. La chute d’une dictature ne signifie pas l’apparition immédiate d’une société idéale, seuls des efforts à long terme, un travail constructif permettront d’améliorer la société.

Aristote : « la tyrannie peut se transformer en tyrannie »

Avant l’effondrement d’une dictature, les membres de l’ancien régime peuvent mettre en scène un coup d’État, les putschistes réclament une légitimité, il faut leur refuser.

La mise en place du nouveau système démocratique passera par la rédaction, la restauration ou l’amendement d’une constitution qui établira la structure du gouvernement démocratique. Elle fixera les limites de son pouvoir, les moyens et les délais pour les élections et devra être compréhensible par la majorité de la population. Le gouvernement central doit établir un partage clair de l’autorité entre les secteurs législatifs, exécutifs et judiciaires.

L’expérience de la lutte a d’importantes conséquences psychologiques. Elle augmente l’estime de soi et la confiance en soi. La société est capable de faire face à des problèmes actuels et futurs.

« La liberté n’est pas gratuite ». Aucune puissance extérieure ne viendra offrir au peuple opprimé la liberté désirée. Il devra la saisir lui-même et c’est loin d’être facile. La liberté acquise par la lutte d’un peuple tenace, engagé dans sa préservation et son développement peut être durable.

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